TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: MURIEL ANTILLE

Présidente suisse de l’Association de défense des retraités, Christiane Jaquet-Berger voit la situation des rentiers se détériorer année après année.
La popiste lausannoise regrette notamment que plus de 330 000 d’entre eux doivent avoir recours aux prestations complémentaires pour vivre dignement.
L’ancienne conseillère nationale pointe les dysfonctionnements du 2e pilier et prône un renforcement de l’AVS, qu’elle juge plus solide et plus juste.

Depuis septante ans, l’Association de défense et de détente des retraités (Avivo) se bat en faveur des rentiers helvétiques. «Notre mission est de les aider à défendre leurs droits, mais aussi de leur proposer différentes activités pour lutter contre l’isolement social», explique Christiane Jaquet-Berger, présidente de l’Avivo Suisse, ainsi que de sa section lausannoise. «Cela me permet de garder les pieds sur le terrain et de ne pas avoir seulement une vision théorique», sourit l’octogénaire.

 

Être retraité, en Suisse, en 2019, c’est le bonheur?
- Pour beaucoup, c’est la belle vie, oui. Et il est indispensable que cela continue ainsi. La retraite, c’est le moment où vous pouvez organiser votre temps comme vous le voulez. Après, le problème, pour beaucoup de personnes, est financier. Selon la Constitution, la rente AVS devrait couvrir les besoins vitaux. Aujourd’hui, on en est très loin.

Dans quelles conditions vivent les retraités?
- On ne peut pas dire qu’ils soient très bien traités. Avec l’Avivo Vaud, on remplit 7000 déclarations d’impôt, chaque année, nous sommes aux premières loges pour nous rendre compte de la situation des gens. Les rentes AVS n’ont connu aucune réelle augmentation, depuis 1975, alors que les loyers, les assurances maladie et les impôts, eux, augmentent.

Comment font-ils face à cette situation?
- Ceux qui n’ont pas du tout de 2e pilier, souvent les femmes, doivent avoir recours aux prestations complémentaires (PC) pour couvrir leurs besoins vitaux. C’est devenu une sorte de 4e pilier. Il y a 330 000 personnes en Suisse qui en bénéficient parce qu’elles n’ont pas assez de retraite. Et il y en a sans doute autant qui renoncent à ce droit par honte. Pour eux, c’est une souffrance de dire: « J’ai travaillé toute ma vie, mais je suis pauvre. »

Quelles sont les causes?
- À un moment donné, le pouvoir politique a estimé que ce qui allait sauver les rentiers, c’était le 2e pilier. En réalité, on observe, aujourd’hui, qu’il est fragile et périlleux. Il ne correspond pas aux promesses: sa gestion est extrêmement coûteuse et certaines personnes gagnent beaucoup d’argent grâce à ça. C’est pour cela que nous défendons bec et ongles l’AVS, qui est un système solide, transparent et clair. Les très riches paient beaucoup et touchent la même rente que moi, par exemple.

«Dans un pays aussi riche que le nôtre, nous avons envie que les prochaines générations aient une belle retraite.»

Christiane Jaquet-Berger, présidente de l’Avivo Suisse

Quels sont les défis pour l’avenir?
- La menace actuelle, c’est une augmentation de l’âge de la retraite. On va encourager les gens à travailler plus longtemps, alors qu’on sait bien qu’à 50 ans nous sommes déjà considérés comme dépassés. La discordance entre ces deux volontés est incroyable. L’autre chose qui nous effraie, c’est que les rentes futures vont encore baisser. Dans un pays aussi riche que le nôtre, nous avons envie que les prochaines générations aient une belle retraite. C’est un enjeu qui ne concerne pas que les personnes âgées, cela concerne tout le monde!

Pourtant, on entend souvent les jeunes dire: “De toute façon, nous n’aurons pas de retraite…”
- Je comprends leur crainte, mais je crois qu’elle n’est pas justifiée. Ce discours existe depuis septante ans. On oublie toujours de dire qu’il y aura une baisse du nombre de retraités dans les années 2030. Si on suit nos conseils pour renforcer l’AVS, les jeunes auront aussi une retraite.

Justement, si on vous donne une baguette magique, qu’est-ce que vous changeriez?
- Je baisserais la retraite d’une année pour les hommes. Pourquoi pas 64 ans pour tous? Ensuite, j’augmenterais la rente AVS à 4000 francs (actuellement le minimum est de 1185 fr. et le maximum de 2370 fr.) en faisant glisser la part obligatoire du 2e pilier dans le premier (réd: l’AVS). Des études ont montré que c’était tout à fait faisable. Je crois aussi que les cotisations ne doivent pas peser uniquement sur les salariés. Il serait normal que les personnes qui ont des gains financiers importants, comme les actionnaires, par exemple, participent également. Finalement, je ferais en sorte qu’un couple marié reçoive deux rentes, contre une et demie actuellement. C’est juste normal, ils ont payé pour.

Est-ce que vous avez le sentiment que les gens se rendent compte de la situation des retraités en Suisse?
- Notre système est complexe, je le reconnais, mais je suis souvent effarée de constater que des gens, même parmi les retraités, ne comprennent rien au fonctionnement. Le problème, c’est que cela crée du désespoir chez eux. Ils sont alarmés, car ils ont le sentiment de ne rien pouvoir faire. Mais ce n’est pas le cas. Dans un pays démocratique comme le nôtre, avec un aussi grand nombre de retraités ou de futurs retraités, on devrait pouvoir voter de manière constructive pour obtenir davantage de solidarité. Pour cela, il faut absolument développer notre esprit critique pour ne plus se faire embobiner par des capitalistes qui font campagne dans leur propre intérêt. Je suis sûre que nous avons les moyens de faire mieux!

Et vous, la retraite, c’est pour quand?
- Mais je suis absolument à la retraite (rires)! C’est ça, le bonheur, vous pouvez choisir vos activités et décider de ce que vous voulez faire bénévolement.