TEXTES: SAMANTHA LUNDER
PHOTOS: BERNRD PYTHON

La famille Kamri s’est agrandie il y a deux ans, lorsque Raquell et Youssef sont allés chercher en République Dominicaine leurs deux enfants, Juan et Jennifer.
La fratrie, aujourd’hui âgée de 5 et 6 ans, s’est très bien intégrée à sa nouvelle vie, en Suisse.
Pour le couple, l’adoption n’était de loin pas un parcours facile: ils ont dû attendre cinq longues années, souvent sans nouvelle, avant de pouvoir avoir leurs enfants. D’ailleurs, pour faciliter l’accueil, le Conseil fédéral se penche sur un congé parental de deux semaines.

«Maman, regarde comme j’arrive à aller haut!» lance Jennifer en escaladant un mur de grimpe. À ses côtés, son petit frère, Juan, s’applique de toutes ses forces à se déplacer le long d’une échelle de corde à l’horizontale. Ils descendent et repartent de plus belle en hurlant de rire. Ils terminent leur course folle par un câlin dans les bras de leurs parents, qui les couvrent de baisers. Les deux jeunes enfants de 5 et 6 ans adorent venir s’amuser en famille sur cette petite place de jeux au cœur du Locle (NE). C’est dans cette ville qu’ils ont été accueillis, il y a deux ans, dans leur nouveau foyer, par Raquell et Youssef Kamri. À passé 40 ans, ils sont devenus parents après une très longue procédure d’adoption. Les Neuchâtelois – qui ont essayé d’avoir un bébé, sans succès – se sont tournés vers cette possibilité sans s’imaginer le parcours éprouvant qu’ils s’apprêtaient à traverser.

Un long parcours

Ce n’est que cinq ans après les premières démarches administratives que la confirmation tombe enfin: une fratrie les attend en République dominicaine. «On était même prêts à tout arrêter. Avec du recul, je peux dire que c’est une épreuve positive qui nous a forgés en tant que couple, mais sur le moment c’était très dur», témoigne Raquell. Le plus difficile pour eux: devoir effectuer toutes les demandes longtemps avant l’arrivée des enfants. Sans même savoir s’ils pourront réellement en accueillir un jour. Le temps se suspend, dans une attente souvent interminable, décrivent les époux. Pendant les deux années qui ont précédé la nouvelle, Raquell a pris soin de mettre des dizaines de jours de congé de côté. Car, au moment où on les appellera, ils devront s’envoler dans le pays et y résider quatre mois. Une contrainte légale imposée par la République Dominicaine, afin de s’imprégner de la culture et de tisser les premiers liens avec leurs enfants.

Je trouve qu’il est devenu beaucoup plus difficile qu’avant d’adopter. La situation devient même inhumaine: les couples doivent souvent attendre plusieurs années. Vous imaginez, cinq ans sans avoir de nouvelles?

Nicole Binggeli, présidente du centre adoption et accueil familial de peseux (NE)

«L’attente permet de faire une place à ces enfants» «On ne se rend pas compte, en Suisse, de la situation: ce n’est pas simple d’adopter, continue la maman. Je ne trouve pas normal de ne pas avoir de congé maternité comme les femmes qui accouchent.» Aujourd’hui, ils se souviennent avec beaucoup de bienveillance de ces premiers moments passés sur place. «Je garderai toujours en tête cette première photographie que l’on a prise avec eux, témoigne le papa. Jennifer s’est collée directement à nous, alors qu’au contraire Juan avait la main contre nous, comme pour nous repousser. Il faut être conscient que l’on démarre de loin avec un enfant adopté, qui a subi un traumatisme d’abandon.» Pour s’y préparer au mieux, le couple a pu suivre plusieurs ateliers en Suisse avant son départ. «C’est certainement la seule partie positive de l’attente, car cela permet de faire une place physique et mentale à ces enfants, mais aussi de mettre de l’argent de côté. En effet, l’adoption coûte très cher, poursuit Youssef. On relativise cette période difficile une fois que l’enfant est là, mais cela reste quand même un permis d’être parent que l’on doit obtenir, c’est frustrant et pesant.» Durant le processus, ce qui les aide, ce sont ces retrouvailles, une fois par mois, avec d’autres parents préadoptants, pour échanger et vivre cela ensemble à travers un comité de soutien qu’ils ont créé.

«Il est marqué pour toute la vie»

Youssef décrit, aujourd’hui, son fils comme «une vraie pipelette», mais il se rend compte que les débuts ont passé par une phase d’observation, sans un mot, de la part du petit. «L’enfant n’a pas choisi d’être adopté, on l’oblige à vivre avec des étrangers. Émotionnellement, il est marqué pour toute la vie par ce traumatisme vécu trop tôt. Cela aura aussi un impact sur son comportement. C’est pour cette raison que la première année est très importante pour tisser les liens d’attachement.»

«Je suis admirative de tous leurs efforts»

Depuis leur retour en Suisse, l’accueil a été très positif pour toute la famille. Les deux enfants ne sont pas les seuls de couleur dans la ville, une mixité sociale qui leur a permis d’être tout de suite très bien intégrés. «J’avais quand même une crainte au départ. Je suis moi-même d’origine marocaine et on entend beaucoup de choses sur le racisme», confie Youssef. Et sa femme de porter un regard bienveillant sur ses enfants: «Je suis admirative de tous les efforts qu’ils font, ils ont appris une nouvelle langue et s’adaptent avec une grande facilité.»
La complicité familiale, elle aussi, est forte entre les quatre et, même s’ils sont encore jeunes, leurs enfants arrivent avec leurs mots à décrire leur nouvelle vie en Suisse. Jennifer dit aimer la pâtisserie, les promenades dans la nature, mais encore plus faire des bisous à sa famille. Juan, lui, aime tout, surtout la piscine! Lorsque son papa demande à la petite si elle a des souvenirs de la République dominicaine, elle se confie spontanément: «On dormait tous dans le même lit, mais après j’aimais bien l’appartement avec vous», avant de repartir jouer le sourire aux lèvres. Raquell et Youssef ne leur ont jamais caché leur passé et leur parlent ouvertement de cette adoption. «Cela fait partie de leur vie, et c’est important de les accompagner en répondant à leurs questions lorsqu’ils en ont», termine Raquell. Un jour, quand ils seront plus grands, ils referont ce voyage. Pour que Juan et Jennifer puissent, eux aussi, s’approprier leurs origines.